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qu’il y a quelque danger à prendre au pied de la lettre le système critique basé sur l’influence des milieux. La nature, la seule nature, voilà la grande influence. Bien souvent, trop souvent même, les Césars engendrent des Laridons, — en littérature surtout. Toutefois, on doit reconnaître que le pays et l’hérédité ont joué un grand rôle dans la formation du tempérament littéraire de Bonaparte.

On sait la Corse et sa robuste et bizarre nature, ses paysages puissants, ses bois vierges de pas humains, ses montagnes grandioses, et aussi les mœurs âpres et farouches de ses habitants. Napoléon Bonaparte, encore enfant, perdu dans ses rêveries solitaires, à Milelli, aux Sanguinaires, ou bien encore chez les pâtres rudes et forts des pièves de Bocognano, Napoléon avait reçu l’empreinte profonde de cette singulière contrée, qui confine physiquement et moralement à la Gaule, à l’Italie, à la Grèce et à l’Afrique, mais ne peut montrer aucun des traits essentiels du caractère de ces différents pays. A de certains égards, il demeura Corse toute sa vie ; à Brienne, à l’école militaire de Paris, au régiment de la Fère, il arborait un patriotisme sauvage, étroit, susceptible à l’excès, le patriotisme propre aux habitants de l’antique Cyrnos, la Corsica des Latins. Plus tard, il se défit de ce sentiment trop primitif, trop gênant, pour l’extraordinaire Français qu’il allait être. Il ne garda de son pays aimé que des souvenirs pittoresques, une vision de grandiose nature, quelques sensations de l’ordre le plus délicat, le plus poétique. Je prends dans madame de Rémusat, bon juge quand elle n’est pas directement en cause, comme à Pont-de-Briques par exemple, la page suivante : « … Il aimait fort tout ce qui porte à la rêverie : Ossian, le demi-jour, la musique mélancolique. Je l’ai vu se passionner au murmure du vent, parler avec enthousiasme des mugissements de la mer, être tenté quelquefois de ne pas croire hors de toute vraisemblance les apparitions nocturnes, enfin avoir du penchant pour certaines superstitions. Lorsque, en quittant le cabinet, il rentrait le soir