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gne et Pascal, librement épanouie avec Voltaire et Diderot. Malgré lui, contre lui, à son insu peut-être, il était ce qu’on a le devoir de nommer un prosateur-né ; et cela grâce à la puissante volonté de cette nature qui lui prodigua tant de dons. Quoiqu’il ait souvent donné carrière à son imagination, en dépit de ses faiblesses pour la rêverie, de son amour pour les choses immatérielles, Napoléon ne pouvait être écrivain qu’en prose. Les quelques vers qui nous restent de lui disent péremptoirement que son initiation au rythme de la poésie était chose impossible. Jamais ce fougueux esprit n’eût pu s’astreindre au culte de la rime, à la condensation, si délicate dans la pensée et dans la forme, qu’exige l’art d’écrire en vers. Avec cela, la manie des bouquets à Chloris le hantait, — témoin le madrigal pour la Saint-Huberty, — ce qui achève de le peindre en tant que poète manqué. Il aimait à déclamer des vers, surtout des vers tragiques, il lisait assidûment les poètes ; mais il devait les lire avec un secret dépit de ne pouvoir, — je ne dirai pas les égaler, — mais tout au moins singer leur métrique, capter ce qu’il y a de plus apparent dans leurs œuvres. Dans le vaste recueil du Mémorial et dans ses lettres de jeunesse, on ne trouve point la preuve visible de cette préoccupation ; mais elle existe bien de fait dans toute sa vie. Il voulait conquérir l’Orient, et il admirait la tragédie. Peut-être est-il permis de supposer que son inaptitude poétique l’attrista plus que son échec à Saint-Jean-d’Acre.

Comment aurait-il pu en être autrement ! Cet esprit, d’un si large et si vigoureux essor, n’avait-il pas toutes les curiosités, toutes les ambitions ? Victor Hugo, qui lui a décoché en passant, dans le « Waterloo » des Misérables, quelques vérités dures à entendre, ne peut s’empêcher d’être sous le charme quand il examine les diverses et puissantes qualités intellectuelles de Napoléon. Personne, il faut le dire, ne devine un conquérant mieux que ne le fait un grand poète. La foule n’entre point dans les menus dé-