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« Ton père bientôt ne sera plus ; il a assez vécu ; il a connu les vrais plaisirs, il connaît le plus grand de tous, puisqu’il te presse encore sur son sein. Une seule chose, mon fils, si tu veux l’imiter : ton âme est ardente, mais ton travail, mais ta femme, ce doux présent de l’amour, mais tes enfants ; que d’objets pour remplir le vide de ton cœur, garde-toi seulement de la cupidité des richesses. Les richesses n’influent sur le bonheur, mon fils, qu’autant qu’elles procurent ou refusent le nécessaire physique. Tu l’as ce nécessaire, et avec lui l’habitude du travail. Tu es le plus riche du pays : sache donc brider ton imagination. D’une âme ardente à une imagination déréglée, il n’y a, mon fils, que la raison au milieu.

« Les riches sont-ils heureux ? Mon fils, ils peuvent l’être, mais pas plus que toi. Ils peuvent l’être, entends-tu ; car rarement ils le sont. Le bonheur est spécialement dans ton état, parce que c’est celui de la raison et du sentiment. L’état du riche est l’empire de l’imagination déréglée, de la vanité, des jouissances des sens, des caprices, des fantaisies… Ne l’envie jamais et si l’on t’offrait toutes les richesses de la contrée, mon unique ami, rejette-les loin de toi, à moins que ce ne soit pour les partager incontinent avec tes concitoyens. Mais, mon fils, cette lutte de force et de magnanimité n’appartient qu’à un Dieu… Sois homme, mais sois-le