Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur commence à palpiter, tes fibres sont accoutumées au travail sans doute, mais au travail modéré, qui rafraîchit le corps, excite le sentiment, calme l’imagination fougueuse. Mon fils, t’a-t-il rien manqué ? Ton habillement est grossier, ta demeure est rustique, ta nourriture est simple ; mais encore une fois, as-tu rien désiré ? Tes sentiments sont purs comme tes sensations, comme toi-même. Il te manquait une femme, mon fils, tu l’as choisie : je t’ai donné de mon expérience à décider ton jeune cœur. Ô mon tendre ami, pourquoi te plains-tu ? Tu crains l’avenir, fais toujours comme tu as fait et tu ne le redouteras jamais. Mon fils, si j’avais été au nombre des hommes misérables qui ne possèdent rien, j’eusse façonné ton corps au joug de l’animal, j’eusse fait de toi le premier des animaux de ta grange. Plié par le joug de l’habitude, tu eusses vécu tranquille dans ton apathie, content de ton ignorance. Tu n’eusses pas été heureux, ô mon fils ! tu ne l’eusses pas été, mais tu fusses mort sans savoir si tu avais vécu ; car, mon fils, comme tu l’as observé, pour vivre, il faut sentir et raisonner, dès lors ne pas être accablé par le besoin physique. Oui, bon jeune homme, que cette nouvelle te rafraîchisse, te console ; calme tes inquiétudes ; ces champs, cette cabane, ces animaux sont à nous. J’ai voulu te le laisser ignorer : il est heureux et si doux de monter, si dur de descendre !