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actions, juſqu’à mon ſilence, ſeroient interprétés par le plus malin & le plus clairvoyant des hommes. Préoccupée de cette penſée, je commettrois mille gaucheries ; elles prêteroient à des ſarcaſmes dont le Comte ſeroit de moitié. Je ne pourrois, ni lui parler, ni lui donner ma lettre… Que j’aurois été obligée à quelque maladie ſubite qui m’auroit forcée de garder la chambre ! elle ne vint point : je n’oſai la feindre ; nous partîmes.

Ma mere étoit ſeule, ſon accueil fut glacé, ou plutôt elle ne m’en fit aucun ; toute ſon attention ſe tourna ſur Murville. Belle maman, lui dit-il, j’ai quelque choſe à vous communiquer : daignez m’accorder un moment d’audience.

Cette priere, un ſourire, un coup d’œil fin me cauſerent un friſſon général. Mon hiſtoire de la nuit alloit être contée ; un orage affreux groſſiſſoit ſur ma tête ; le Baron ne m’avoit amenée que pour m’en faire ſupporter les éclats… Heureuſement, j’en fus quitte pour la frayeur. Madame de Rozane reparut : ſon viſage n’annonçoit rien ; mes alarmes ſe diſſiperent. Votre fille a très-mal dormi, dit Murville, elle en eſt ſinguliérement abattue. Ma mere ſe tourna vers moi : quels yeux, dit-elle ! peut-on ſe défigurer ainſi, avec un peu de raiſon !