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L’immobilité du Comte me donna le temps de conſidérer la carriere que j’avois déjà parcourue, & celle qui me reſtoit à remplir : cette vue m’oppreſſoit… Un nouveau ſoupir, qui ne s’ouvrit un paſſage qu’avec effort, tira le Comte de ſa rêverie ; il leva les yeux au ciel, prit une de mes mains, la preſſa ſur ſon cœur, ſur ſa bouche, avec une action paſſionnée… Ah ! Rozane, m’écriai-je, il eſt donc vrai que toute eſpérance de bonheur eſt détruite, que rien ne peut nous réunir ? Qui te l’a dit, cruelle, demanda-t-il, en me ſerrant étroitement dans ſes bras : quand tu m’aimes, quand je t’idolâtre, quand l’amour nous livre l’un à l’autre, embraſés de tous ſes feux, quelle puiſſance nous obligeroit de nous refuſer à la félicité qu’il nous préſente ! Va, nous devons nous regarder comme ſeuls dans l’univers ; tu n’as plus de mari ; tu n’as jamais eu de mere ; on te rend à toi-même ; c’eſt te rendre à ton amant : il faut que tu ſois toute à lui, puiſqu’il veut être tout pour toi…

Agitée, me connoiſſant à peine, je ne repliquois rien,… mes pleurs couloient ſans âcreté ; Rozane les eſſuya, fixa ſur moi ſes regards dont l’expreſſion étoit ſi dangereuſe ; les miens s’y confondirent ; ſes tranſports en redoublerent ; … notre raiſon s’éclipſa…