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trembler, de fléchir, de m’obſerver même juſqu’à un certain point, devant un mari qui tenoit tout de moi, & que je me jugeois en droit de mépriſer.

Le deſir d’avoir un confident me revint avec plus d’apparence de raiſon, & non moins d’imprudence ſur le choix. Rozane avoit refuſé ce titre. Je me dis qu’alors il l’avoit pu ſans inhumanité, puiſqu’il me croyoit heureuſe ; mais qu’en me voyant abymée dans la douleur, il n’héſiteroit pas à me ſecourir de ſes conſeils, à me conſoler par ſa tendre compaſſion.

Mon imagination s’échauffoit, en parcourant les motifs que j’avois de compter ſur ſon cœur ; ce cœur où j’avois regné… où je regnois peut-être encore… Quel contraſte il formoit avec celui de Murville !… Que j’aimois le Comte en ce moment ! Toute autre à ma place ſe ſeroit défiée d’une pareille diſpoſition ; je ne l’examinai même pas. Appercevoir un ſoulagement à mes peines, le deſirer avec ardeur, le chercher avec empreſſement, furent tellement la même choſe pour moi, que j’écrivis à l’inſtant ce billet, & l’envoyai à Rozane, quoiqu’il fût près de minuit.