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Plus nous approchions, plus mon courage s’affoibliſſoit, plus j’étois affectée des humiliations que je prévoyois.

Nous arrivâmes enfin à la derniere couchée, où j’avois envoyé mes chevaux d’avance. Quelle nuit j’y paſſai, bon Dieu ! je n’y dormis pas une minute. Vingt fois je me levai ; vingt fois j’ouvris la fenêtre pour meſurer l’eſpace qui me reſtoit à parcourir, quoique l’obſcurité me dérobât les objets les plus proches.

Retenue par l’incertitude du ſuccès, pouſſée par mon impétuoſité naturelle, voulant, ne voulant pas, ne pouvant reſter en place, je mis tout mon monde en l’air, dès que le jour parut, de façon qu’avant ſept heures, nous découvrîmes le château de Rozane à une demi lieue de diſtance. Mon agitation devint telle, que Mademoiſelle des Salles fit arrêter, pour me donner le temps de reprendre mes eſprits… Nous délibérâmes, ſans rien conclure, parce que j’adoptois & rejettois, dans le même inſtant, tous les avis… Ce à quoi je tenois fortement, c’étoit d’éviter les témoins dans la premiere entrevue, pour ne pas mourir de confuſion ; mais comment s’en garantir, dans un pays dont j’ignorois la carte, les entours, les relations ?… Il étoit néceſſaire de prendre langue, d’aller à la découverte. Un