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AVIS SUR L’USAGE DE CE DICTIONNAIRE. XI

idées nouvelles, nouvellement exprimées par un mot qui les rend plus frappantes, plus faciles à fixer : elles ont, comme les monnaies neuves, ou le mérite d’une valeur qui manquait, ou celui d’un plus grand éclat.

Ces réflexions répondent à la critique des auteurs de deux nouveaux Dictionnaires, qui ont blâmé l’admission dans celui-ci de ces mots qu’ils suppriment. Ces Lexicographes se sont-ils donné la peine d’examiner le plan du Dictionnaire universel, avant d’en critiquer l’exécution ?

Les mots dont la NÉOLOGIE a enrichi la Langue sont caractérisés ou par la citation d’un grand nombre d’autorités, ou par une seule autorité dont le poids justifie l’emploi du mot.

XVI. Exemples de mots créés par la Néologie.

AGRICULTEUR, s. m. Agricultor. cultivateur. A. AL. C. G. CO. [Delille. Fréron.]

AIMANT, e, adj. Amans, (vi., renouv.) porté à aimer, qui aime. A. AL. [Mascaron. Genlis.] V. G.

DÉRAISON, s. f. défaut de raison ; manière de penser, d’agir, déraisonnable ; jugement, action, opinion déraisonnable. [Chàulieu. Gresset. Sévigné.]

ENTRAÎNEMENT, s. m. action d’entraîner : force,

effet, attrait, charme de ce qui entraîne (— des passions, de l’habitude) ; état de ce qui est entraîné.

Houtleville. La Harpe.]

PROJECTILE. S. m. tout ce qui sert à naviguer [St.-Pierre. ], à faire un trajet.

Les produits du NÉOLOGISME, ou n’ont qu’une citation, ou sont accompagnés d’observations critiques. Comme quelques-uns de ces mots ont été employés par des savants ou des auteurs lus généralement, il fallait en donner l’explication : mais ils ont été réprouvés par ces indications : (vicieux.) (barbarisme.) (inusité.) (peu usité.)

XVII. Exemples de mots forgés par le Néologisme, et de mots vicieux ou barbares.

DÉBRUTALISER, v. a. -sé, e, p. faire cesser d’être brutal. [Vaugelas.] R. G. C. Cnus.) B.

DÉCHAGRINER, V. a. -né, e, p. (fam., inus.] égayer ; dissiper le chagrin. [Hénault] G. RR.

INDISCUTABLEMENT, adv. c. d’une manière indiscutable, sans contestation, (vici.) [Desfontaines.]

INTÉRIMISTIQUE. adj. f. (fonction —), par intérim

(barbarisme.) (mieux) intérimistice, analogue d’armistice, d’interstice, -rimaire. c. Cnterim, dans l’intervalle, stare, subsister, lat.)

PROBANTE, adj. f. (en forme —), authentique (raison —) convaincante, (peu usité.)

RÉDARGUER, v. a. -gué, e, p. -guère, réprimander, blâmer, reprendre, (inus.)

RELICHER. v. a. lécher souvent ; manger, (popul.) REMARQUER, v. n. voy. Renâcler, (barbarisme.)

RENTER, v. a. -té, e, p. donner, assigner certains revenus, (peu usité.)

SANCIR, v. n. t. de mer, couler bas. (peu usité.) PIFOMÈTRE, s. m. voy. Oinomèlre.

L’Écrivain qui ne voudra pas donner à son œuvre un air suranné, évitera d’employer les mots qui luî sont signalés de la sorte. Il est encore plus nécessaire pour lui de connaître à quel style particulier un mot peut être affecté ; il est nécessaire, pour l’étranger surtout, de ne pas confondre les divers styles dans la conversation on la correspondance, et de ne pas employer des mots ignobles ou des expressions obscènes, ni même trop relevées. Les Lexicographes les plus estimés ont trop souvent négligé de caractériser les mots ou de les accompagner de ces notes (bas.) (obscène.) (à éviter.), etc., ou bien (poétique.) (noble.) (didactique. ) (propre.) (figuré.) (familier.) (exagéré.) (vieux.) (nouveau.) (comique.) (burlesque.) (populaire.) (style relevé.), etc., etc., comme on l’a fait dans cet ouvrage, pour arrêter le mélange des styles, et ces atteintes involontaires que l’on porte quelquefois à la bienséance. Il est très-important pour les étrangers d’éviter ces méprises : les écrivains y sont encore plus intéressés ; quels que soient leur mérite, la richesse de leurs images, la profondeur ou la sublimité de leurs pensées, s’ils confondent sans cesse tous les genres, ils offenseront la délicatesse du goût, ils provoqueront la Critique, et ne seront jamais classiques.

Ainsi l’Auteur a distingué soigneusement tout ce qui tient au style poétique.

XVIII. Exemples de locutions propres aux poètes.

ACCIDENT, s. m… pl. circonstances, incidents. Boileau.]

CERÈS s. f… (poét.) le blé.

DÉCOCHER, v. a. -ché, e, p (fig ; poét.) —

des traits de satire, de haine, de colère.

MARCHANDER, v. a. -dé, e, p (fig. au moral.)

vouloir acheter à prix d’argent, etc. [Corneille. Voltaire.

PAPILLONNER, v. n. Volitare. Voltiger d’un objet à l’autre sans s’arrêter à aucun, (famil.) [Deshoulières.

Gresset.]

REGARD, s. m. Aspectus pour mon —,

pour ce qui me regarde [Corneille] (vieux, mais très-bon)Voltaire.]

La réunion momentanée de plusieurs contrées à la France nécessita l’admission dans le style administratif de quelques mots étrangers, francisés par le Gouvernement, tels que belt, polders, thalweg, etc. ; il en est beaucoup d’autres qui furent entièrement incorporés à la langue, tels que budget, moibidezze, vasistas, etc. ; etc. : tous ont été recueillis.

Mais l’auteur n’a pas cru devoir grossir sa très-abondante nomenclature de quelques milliers de mots allemands, anglais, hébreux, grecs, latins, qui, en français, ne représentent aucune idée, quoiqu’ils figurent dans d’autres Dictionnaires sans être accompagnés d’une seule indication critique.

Il aurait été très-facile de tripler le nombre des mots qui peuvent se rattacher au corps même de la langue, en complétant toutes les familles de mots, comme le désirait M. le cardinal Maury ; c’est-à-dire en formant des adjectifs de tous les substantifs qui peuvent en fournir, comme réquisitionna ire, de réquisition ; puis des adverbes, de tous les adjectifs et substantifs, par exemple, substantivement ; et enfin des verbes, de tous les substantifs, adjectifs et adverbes : mais l’ Auteur a cru devoir se borner en général à recueillir ceux de ces mots qui ont été employés par les bons écrivains jusqu’à ce jour. Les partisans de la Néologie pourront aisément compléter ces familles, à l’aide des finales adjectives, adverbiales ou verbales.

Le Néologisme trouverait à faire une immense récolte de mots dans les nomenclatures des sciences que les professeurs-écrivains changent tous les deux lustres pour rajeunir les méthodes et substituer leurs compositions aux livres élémentaires de leurs maîtres ; mais les rassembler ici aurait été une chose très-inutilement dispendieuse et même dangereuse : craignons de noyer la science dans le torrent de la logorrhée synonymique. Les nomenclatures scientifiques seraient doublées si l’on traduisait les noms grecs en latin, et les latins en grec, comme ont fait quelques naturalistes. Cependant un Dictionnaire universel devait admettre tout ce qui existe à l’abri de quelque autorité imposante ; l’Auteur a donc recueilli d’abord les mots employés par des professeurs estimés, puis il a terminé ce MANUEL ENCYCLOPÉDIQUE par une Nomenclature complète d’Histoire naturelle, entremêlée d’additions à celle de Chimie et de Médecine, etc., d’après les nouvelles classifications.

COMPLÉMENT TIRÉ DES ÉCRIVAINS CLASSIQUES.

Ce n’était pas tout de comparer et d’analyser les travaux de nos prédécesseurs, il fallait encore recourir aux sources mêmes, c’est-à-dire aux ouvrages des meilleurs écrivains dans tous les genres, mines fécondes que jusqu’ici les Lexicographes avaient méconnues ou dédaignées. Les auteurs du Dictionnaire de TRÉVOUX, et FERRAUD, abréviateur de cet immense lexique, avaient seuls consulté, cité des littérateurs, mais les plus connus seulement ; de plus il n’était pas difficile de reconnaître que, dans les définitions, le tact et le jugement de FERRAUD avaient été trop souvent égares par son imagination ; qu’il avait substitué, comme l’a fait un nouveau Lexicographe, sa manière particulière d’entendre à l’interprétation générale, et que par conséquent son travail était à refaire en entier. On oublie trop souvent que les mots sont comme des monnaies dont nul ne peut changer la valeur.

BOILEAU, BOSSUET, CORNEILLE, LAFONTAINE, RACINE, etc., etc., étaient membres de l’Académie ; mais ce corps savant ne consulta pas leurs ouvrages, et par conséquent on y trouve des mots, des acceptions que l’Académie n’a point admis, ni les Lexicographes après elle.

D’autres écrivains justement célèbres, quoiqu’ils ne fussent pas de l’Académie, LA BRUYÈRE, MOLIÈRE, PASCAL, J.-B. ROUSSEAU, REGNARD, etc., etc., avaient également créé une foule d’expressions heureuses, ou donné aux mots des concordances, des acceptions nouvelles : l’Académie les rejeta ; et nous avons dû nous emparer de ces richesses.

Les hommes qui ont écrit sur les Sciences et les Arts ont enrichi la Langue de beaucoup d’expressions heureuses : plusieurs de ces expressions sont à présent consacrées par l’usage. L’Académie a donné quelques-uns de ces termes ; mais elle a négligé le reste. Le plan de cet ouvrage exigeait qu’ils y fussent tous rassem-