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V

dont je suis incapable, m’était interdit par plusieurs raisons, et la première de ces raisons, si je ne me trompe, m’aurait dispensé de faire valoir les autres.

Soit que M. Boiste eût conçu la même impossibilité d’exécution, soit que sa propension de génie à tout embrasser, lui fit craindre de laisser en arrière dans une conception ouverte à tous les mots, à toutes les pensées, et à toutes les sciences, la science de la morale qui est la première de l’homme, il jugea qu’il pouvait la faire entrer dans les phrases d’exemple, et il y parvint sans peine, parce qu’avec des mots innombrables, on arrive sans peine à exprimer toutes les idées. Il se complaisait dans ce système qui a un côté fort spécieux, comme dans la plus heureuse de ses combinaisons. Ses autorités sont donc plus gnomiques que lexiques. J’ai un peu fortifié celles-ci. J’ai un peu émondé les autres. Ce travail est fort imparfait, et le sera toujours.

En général, tout lexique et toute phraséologie le seront comme lui. Prétendre à l’universel et au complet dans ce genre, est la plus absurde des folies. M. Boiste lui-même avait fini par y renoncer sur mes observations, pour lesquelles sa docte intelligence avait plus d’égards qu’elles n’en ont jamais mérité. Je me suis conformé à cet esprit de réserve dont il s’était avisé trop tard, dans mes additions encore trop nombreuses, en partant d’un principe que je sens la nécessité d’établir : c’est que toute expression qui n’est pas consacrée par un livre de science devenu classique, par une relation très-considérée où elle est regardée comme assez généralement reçue pour pouvoir se passer d’explication, ou par l’usage de la capitale et des provinces, n’a point de droit à entrer dans le Dictionnaire.

On verra que Boiste avait la main large pour semer ces nouveautés dans son livre. Plus économe que lui des prétendus enrichissements d’une langue qui finit, comme finissent toutes les choses de ce monde, j’ai peut-être insisté avec trop d’amour sur les vocables des langues scientifiques que le hasard m’a rendues plus ou moins familières. C’est un défaut qui sortait du fond de l’ouvrage, qui était inhérent à sa forme, et dont je n’ai pas pu me défendre.

Il faut donc chercher dans le DICTIONNAIRE de Boiste une multitude de mots qu’on ne trouverait pas ailleurs, plutôt qu’une lexicographie complète qui est impossible, et qu’une lexicographie rationnelle et philosophique qui est très-difficile. Ceci serait l’oeuvre des Académies, qui n’y parviendront jamais complètement, mais qui en approcheraient si elles le voulaient. L’organisation de l’Institut, comprise, dans un moment de loisir, par le génie de Bonaparte vainqueur et reposé, aurait pourvu sans effort à ce monument immortel, le plus grand que la civilisation eût jamais élevé. Chacune des quatre sections y aurait apporté son contingent : l’Académie française, sa grammaire et sa littérature ; les sciences, leurs langues techniques authentiquées par commissions ; les inscriptions et belles-lettres, leur archéologie européenne et exotique ; les beaux-arts eux-mêmes une nomenclature brillante qui aboutit toujours à s’introduire et à se figurer dans la langue littéraire ; et il résultait de tout cela une notion dont j’ai peur que les générations à venir n’aient pas une idée bien claire. C’est que les Académies étaient une institution fort essentielle et fort bien entendue, pour les progrès de la science sociale. Toute société formée dans ce but qui ne s’est pas assurée de son vocabulaire, n’a pas encore compris sa destination.

Au lieu de cette conception de géants, voici le tribut d’un homme obscur et simple, qui a jeté dans un seul volume, sans autre méthode que celle de l’alphabet, tous les mots qu’il a trouvés dans les livres de sa langue, et qui a joint, par une superfétation prodigue, à toutes les acceptions, à toutes les traductions latines, à un nombre incalculable d’étymologies, la Table analytique des géographies, des mythographes et des biographies, le résumé des grammaires et des rhétoriques. C’est Babel, si l’on veut, avec tous ses inconvénients et toutes ses imperfections ; Babel qui n’est point finie et qui ne se finira point ; Babel confuse dans ses opérations et dans ses paroles, mais d’où l’homme emporte avec lui toutes ses notions et tous ses outils. Ceci est un grand ouvrage, incommensurable pour ceux qui n’ont pas essayé de rédiger une colonne sous une des cent lettrines d’une des mille pages du Dictionnaire. Imparfait qu’il est et qu’il sera toujours, le DICTIONNAIRE de Boiste restera une des vastes conceptions de l’esprit humain.

Je n’ai pas encore dit que Boiste, qui s’académisait tant qu’il pouvait, avait fini par mêler d’étranges concessions à de plus étranges hardiesses. Ennemi déclaré de l’orthographe de Laurent Joubert, improprement appelée Voltairienne, parce que le bel esprit du dix-huitième siècle s’est avisé de la prendre après deux cents ans au plus oublié des bouquins, il s’y soumit comme un écolier quand l’Académie y pencha. Elle est reçue. Je m’y résigne, nonobstant clameur de haro, comme l’honnête Mézeray, quand il se crut condamné à un solécisme de prononciation par l’illustre compagnie dont il fut le secrétaire perpétuel après Conrart. Je prie donc le lecteur grammairien d’être bien persuadé que la substitution de l’orthographe de Laurent Joubert ou de Voltaire, à l’orthographe de Racine et de Bossuet, non plus que le changement de l’y (upsilon) en i (iota), et la suppression de l’h à la suite du t, dans les mots venus du grec, ne sont pas du tout de mon fait ; mais du fait de Boiste qui a suivi l’Académie, du fait de l’Académie qui a suivi l’usage, et du fait de l’usage, qui est, en dernière analyse, l’expression consacrée des mauvaises pratiques, dans les langues comme partout.

On me reprochera sans doute d’avoir omis dans mes augmentations une multitude de mots qui s’introduisent et se reproduisent chaque jour sous le patronage de quelque nom considéré. Cela était inévitable dans ma position particulière, et dans l’urgence d’une nouvelle édition demandée avec empressement ; car on n’a pas le temps de tout lire, quand on est condamne a écrire toujours. Sur ces mots-là, je n’ai qu’une chose à répondre : c’est que tout mot nouveau est recevable, 1° lorsqu’il est nécessaire ; 2° lorsqu’il est bien composé, c’est-à-dire fondé en étymologie, et construit sous une forme qui le rapproche autant que pos-