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J’ai participé seulement à cette édition, en subissant la condition très-légitime de ne rien changer à la physionomie du livre et à ses méthodes, qui sont reçues d’une manière assez favorable pour donner peu de chances à mes innovations ou plutôt a mes vieilleries, car en grammaire, comme dans toutes les sciences de l’homme, il n’y a de neuf que ce qui est vieux. Sous le rapport même de son actualité, le DICTIONNAIRE de Boiste a un caractère monumental qu’il ne faut d’ailleurs pas effacer ; et ma protestation contre ce que les langues deviennent, et doivent devenir, serait ici de fort mauvaise grâce.

Les lecteurs exigeants qui veulent savoir la juste part qu’un éditeur a prise à une publication, me demanderont probablement de quel signe mes corrections et mes additions sont marquées. Je ne pouvais plus y pourvoir par une figure supplémentaire aux astérisques (*) et aux croix (+) de M. Boiste, qui donnent aux anciennes éditions l’aspect trop bien justifié peut-être du cimetière de la langue, et que l’habile typographe a sagement supprimées, si ce n’est à une lettre (H) où la croix (+) est de convention pour marquer les voyelles aspirées. Je me réduirai donc à dire ce que je me suis cru obligé à faire.

J’ai ajouté les mots, les acceptions, les exemples spéciaux et significatifs que je savais, et que je n’avais encore donnés, par hasard, ni à M. Boiste, ni au public.

J’ai augmenté la partie intéressante des étymologies ; pas assez, peut-être, mais autant qu’elles se présentaient lucides et incontestables. Une étymologie qui peut être contestée n’est pas matière de Dictionnaire. Elle est matière de dissertation. Deux pages sont trop peu pour une étymologie intéressante et utile dans un mémoire académique. Deux lignes sont trop dans un glossaire.

L’accroissement incalculable des nomenclatures scientifiques, l’effrayante multiplicité des termes de relations qu’adoptent et francisent les voyageurs, m’auraient fourni facilement des articles innombrables. J’ai reculé devant la dangereuse facilité de cette polyglotte inutile toutes les fois que le mot ne se rapportait pas, selon moi, à des notions usuelles ou à des ouvrages répandus.

J’ai usé de la même réticence pour les mots très-vieillis qui ne sont rapportés dans le DICTIONNAIRE de Boiste qu’en specimen, et qui ont été remplacés par des mots plus heureux, de manière, selon toute apparence, à ne jamais se renouveler ailleurs que dans un Dictionnaire archaïque.

Mon goût pour les études naturelles m’aurait mené loin, si j’avais adopté les synonymies multiples dont s’affuble, au gré du premier venu qui surgit dans la science, un brin d’herbe, un mollusque, un insecte, déjà vingt fois nommé. Je m’en suis tenu autant que je l’ai pu, dans les additions, aux espèces connues, aux genres avoués, qui ne changeront pas de nom, ou qui conserveront leur nom dans toutes les synonymies. Il n’est personne maintenant qui se mêle de nomenclatures, sans s’efforcer d’y ajouter quelque chose, et les nomenclatures sont les sciences des peuples et des langues qui s’en vont. L’homme est incapable de faire un mot tout-à-fait nouveau d’éléments, comme il est incapable de concevoir une idée élémentaire ; mais il fait aisément des mots avec des éléments donnés, comme il combine aisément des idées qui ont l’apparence d’être nouvelles, avec des idées anciennes. Tout cela chargera les lexiques à perpétuité, jusqu’à la confusion définitive de la parole. Je n’ai jamais dit le contraire.

Ces raffinements sont difficiles dans une langue comme la nôtre, qui est composée de hasard et sans méthode ; mais ils étaient tout-à-fait arbitraires dans le grec, comme ils le sont maintenant dans l’allemand, et la science ne s’exprime plus qu’en grec depuis que le grec a presque entièrement disparu des études. Quand nous ne parlerons qu’un grec mal orthographié, gâté par des terminaisons hibrides, nous commencerons à savoir la langue scientifique, et nous ne saurons plus le français.

Je n’ai donc pas cru devoir augmenter beaucoup sous ce rapport les richesses lexicologiques de M. Boiste, mais je n’y ai retranché que ce qui était redondant ou évidemment vicieux ; et il est impossible de ne pas tomber dans l’un ou l’autre de ces défauts, quand on s’est condamné à faire un Dictionnaire, ou à le revoir. Le vice de son travail est donc l’excès, et je n’ai pas eu le droit de le dépouiller, je le répète, de ce luxe intarissable de mots auquel son succès doit peut-être quelque chose.

Quand l’Académie fit son Dictionnaire, il y avait deux manières de présenter la phrase d’exemple, à laquelle je passe maintenant : c’était de copier un écrivain estimé qui l’avait employée ; ou bien, d’en composer une. Furetière prit la première, toutes les fois qu’il le put, et ce fut malheureusement une raison pour que l’Académie prît l’autre. Je m’imagine que c’était une erreur, car on ne compose pas plus une phrase pour un mot qu’un tableau pour une figure, et l’acception du mot ne peut être mieux déterminée que par l’emploi qui en a été légitimement fait dans des ouvrages honorés du suffrage public. On a dit que l’Académie qui contenait alors, à deux ou trois hommes près, tous les talents de l’époque, répugna noblement à se citer elle-même ; elle regardait la langue comme une œuvre de son temps ; elle ne voyait pas comme la Crusca une admirable littérature derrière elle ; elle onnit donc la langue vieillie dans laquelle, sauf quelque bonne volonté, on pourrait voir presque toute la langue. Boiste l’a rétablie, avec peu de critique, mais très-suffisamment pour l’usage que nous en faisons. Sa phraséologie a aussi quelques avantages sur celle du Dictionnaire de l’Académie, et c’est ce que je vais chercher à expliquer, sans prédilection affectée pour mon auteur. L’Académie en jugera, et je m’en rapporte d’avance à ses jugements. "

La phrase d’exemple n’est, de sa nature, qu’une amplification de la définition. L’objet d’un bon Dictionnaire serait, par conséquent, de faire passer la phrase d’exemple par toutes les acceptions reçues du mot, et son chef-d’oeuvre, de les justifier par des citations bien choisies. C’est ce que Furetière et ses continuateurs de Trévoux n’ont pas assez compris, quoique fort dignes de le comprendre, et ce que M. Boiste n’a pas eu le temps d’accomplir dans le cadre immense où il était entré. Ce travail»