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PRÉFACE DE LA HUITIÈME ÉDITION. (1834)

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JE m’occupais beaucoup de lexicographie, lorsque le DICTIONNAIRE de Boiste parut. Il me frappa, comme tout ce qui est grand. C’était un livre conçu sur une échelle immense, un véritable PANLEXIQUE, et je suggérai à M. Boiste ce double titre qu’il eut la modestie de n’adopter qu’en sous-ordre, quoi qu’il exprime beaucoup mieux que tout autre le système de sa composition. Cependant je fis la guerre aux détails, une guerre minutieuse, un peu exigeante peut-être, parce que M. Boiste était digne d’en profiter. Il me répondit comme un homme de talent et de goût qui reconnaît qu’il a eu affaire à un homme de conscience, en adoptant le plus grand nombre de mes observations. Il fit mieux ; il emprunta son épigraphe, il y a quinze ans, au plus sévère de ses critiques, et c’était moi.

J’ai donc un intérêt moral acquis dans toutes les dernières éditions du DICTIONNAIRE de Boiste, puisque j’y suis entré successivement, par sa condescendance, pour de très-nombreuses modifications, et cependant, je ne l’ai jamais excepté du jugement défavorable que je porte de tous nos Dictionnaires. Je crois même qu’il confirmera de plus en plus mon opinion, en s’approchant de plus en plus de sa dernière expression possible ; son envahissante universalité, si commode, si instructive, si nécessaire aujourd’hui, l’assimilant à vue d’œil au Dictionnaire des langues confuses. Ceci, c’est la fin de tous les Dictionnaires qui marchent, et M. Boiste marchait.

Dans l’absence du Dictionnaire ontologique et rationnel, le Dictionnaire lexique et réel de M. Boiste est le seul qui puisse suffire à tous les besoins de l’étude, et je le dis sans aucune prévention d’éditeur, car j’aimerais mieux que M. Boiste l’eût pris autrement. Le DICTIONNAIRE de Boiste, non plus que les autres, ne servira jamais d’instrument à la pensée humaine, mais la pensée humaine ne trouvera jamais nulle part un plus riche magasin. Son défaut dominant est le trop, et c’est un défaut que j’ai respecté, parce que, suivant l’opinion de l’auteur, tout mot qui avait été mis en circulation par la presse était devenu une des propriétés de la parole. Je n’ai retranché de cette superfétation incroyable que ce qui manquait tout-à-fait d’autorité.

Tel qu’il est, et avec cette Encyclopédie de mots, de faits, de définitions d’exemples, de traductions, d’étymologies ; de noms propres, locaux, historiques, mythologiques ; de solutions verbales, littéraires, critiques, un peu moins explicite, mais plus complète que l’ Encyclopédie elle-même, le DICTIONNAIRE de M. Boiste ne Douvait manquer d’être recherché partout où il y a des livres, puisqu’il est devenu indispensable partout où il n’y en a qu’un. Le développement toujours croissant de l’industrie, et la multiplicité des applications scientifiques auxquelles l’industrie est soumise, le rendront de jour en jour plus nécessaire. Aussi, ses éditions s’épuisent en paraissant, et c’est par une ambition presque gratuite de mieux faire, que ses éditeurs peuvent désirer de le perfectionner.

Ce n’était certainement pas à moi que cet honneur littéraire devait être réservé. Ami sévère et souvent contempteur des travaux lexicologiques, je n’ai jamais loué aucun Dictionnaire, parce que je n’ai pas encore conçu la possibilité d’en faire un bon avec trois mauvais éléments dont tous nos Dictionnaires se composent, savoir : un mauvais alphabet, une mauvaise orthographe, et une mauvaise langue. Je l’ai dit du DICTIONNAIRE de M. Boiste plus souvent que d’aucun autre, parce que ce Dictionnaire est à peu près le seul que l’on demande aujourd’hui aux libraires, quand on leur demande quelque chose ; et il y a pour cela une excellente raison qui fait passer sur bien des défauts : c’est qu’on ne peut pas s’en passer.

J’ai opposé cette objection et beaucoup d’autres aux nouveaux éditeurs de M. Boiste, malgré tout le respect que m’inspirait leur nom classique dans le plus essentiel des arts de la civilisation. Je me suis défendu, par mes théories écrites et par ma pratique grammaticale, de coopérer à la réimpression d’un livre dont je me sers à tout moment comme tout le monde, parce qu’il répond à peu près à tous les besoins de mes études, mais dont rien ne pourra me faire adopter la méthode abécédaire et la méthode orthographique. Cependant, je me suis rendu à une raison que j’ai fait valoir moi-même plus d’une fois, sans avoir à la chose le léger intérêt de co-nomination qui la rend mienne aujourd’hui ; c’est que, dans l’état où il est, le DICTIONNAIRE de M. Boiste est certainement le plus vaste trésor de vocables et de faits qui ail été ouvert à aucune époque aux investigations de l’esprit ; j’ai donc fini par accepter l’obligation d’améliorer de tout mon pouvoir l’ouvrage de M. Boiste, dont personne n’était plus à portée que moi d’apprécier l’immensité, puisque je l’avais relu à toutes les éditions du commencement à la fin, et que j’y avais contribue dans les dernières de plusieurs centaines d’articles. Quant à la prétention d’en faire le bon Dictionnaire impossible qu’on ne fera pas, j’espère qu’on voudra bien ne pas me l’imputer.