Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

81
UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

habitude. Mais quand peu à peu nous avons su les détails, comment cette fois la population avait résisté, comment sans espoir de succès et seulement pour le devoir, deux mille braves gens, bourgeois pour la plupart, avaient tenu tête dix heures à cinq mille ennemis, nous avons eu une grande émotion toute mêlée de joie, de pitié, d’espoir de vengeance. Ce que deux mille avaient fait, nous l’aurions tous fait dans ce momant-là. Je ne sais pas si nous retrouverons jamais un si complet accord de nos pensées, mais je crois que si les Prussiens se permettaient encore deux ou trois exécutions comme celle de Châteaudun, ils feraient pourtant lever contre eux un flot d’indignation avec lequel il leur faudrait compter.

Le 20, nous sommes entrés à Blois. Mon bataillon campe le long de la Loire, sur la rive gauche. Nous commençons l’exercice à feu, et franchement ce n’est pas trop tôt. Les chassepots arrivent peu à peu, mais les mobiles ne manœuvrent encore qu’avec les vieux fusils d’autrefois, ce qui les vexe prodigieusement. En revanche ces mobiles, il faut bien l’avouer, sont plus beaux hommes que nous. Dans nos compagnies de ligne il n’y a que de très-jeunes gens, et cela se reconnaît trop vite à leur air gauche et à leur menton aussi peu velu que le mien ; au lieu que les mobiles ont vingt-quatre ou vingt-cinq ans, ils sont à leur taille, en pleine force, et auraient bien vite l’aspect militaire si l’on venait à bout de les équiper d’une manière uni-

5.