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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

se composait la troupe. Peu à peu, nous avons su leur histoire.

La panique qui a suivi les batailles de Reichshoffen et de Forbach les avait chassés de leur village, situé aux environs de Bar-le-Duc. Leur maire s’est sauvé le premier, ils l’ont imité, et depuis le 8 août jusqu’à maintenant, ils errent presqu’à l’aventure, poussant leurs vaches devant eux. Ils n’ont jamais couché deux nuits de suite dans le même endroit. Leur intention avait été de gagner la Normandie, où ils pensaient trouver des pâturages. Ils atteignirent les bords de l’Eure ; les Prussiens y étaient établis avant eux et leur refusèrent le passage. Ils leur ont prescrit de retourner chez eux avec leur troupeau. Les malheureux veulent bien obéir, mais cette route du retour leur paraît longue, affreuse, car ils savent que leur cher village n’existe plus, il a été dévasté, puis brûlé ; ils ne trouveront que des ruines. Derrière eux, sur les chemins, ils laissent trois cercueils d’enfants, les pauvres petits n’ont pu supporter les fatigues et les privations de la fuite, plusieurs vaches sont mortes aussi, celles qui restent font pitié.

J’ai causé quelques instants avec une jeune femme qui tenait un tout petit enfant dans ses bras. Elle m’a raconté que son enfant était né il y a six semaines, dans une de ces charrettes ; elle ne sait pas ce que son mari est devenu. Il n’a pu se décider à quitter leur petite maison, mais il a insisté pour