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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

mage de sa réputation. Il se pose volontiers en homme sans préjugés, en citoyen du monde affranchi de toutes les faiblesses patriotiques, de sorte qu’il aurait eu mauvaise grâce à refuser le service demandé.

Dubreuil est donc parti, il est même revenu quarante-huit heures après. Son air sombre au retour a frappé maman,

« Vous n’avez pas eu d’ennuis, Dubreuil ? Le cheval a bien marché ?

— Madame, je ne ferai plus ces commissions-là.

— Que vous est-il donc arrivé ?

— Six coups de canne, si Madame tient à le savoir, dont un m’a démoli l’épaule ; en plus j’ai été visé avec leurs pistolets, tout cela pour avoir objecté contre un trop fort chargement de votre cheval, aussi je n’en veux plus. »

Le prussianisme de Dubreuil se trouvant radicalement guéri, il a ajouté des choses que j’ai peine à croire sur la manière dont sont traités les charretiers qu’emploie l’ennemi. La plupart d’entre eux sont des Lorrains enlevés de force à leurs villages et qui depuis trois semaines sont contraints de marcher d’étape en étape. Ceux-là restent en dehors des bienfaits de cette admirable organisation qui assure chaque jour, à chaque soldat prussien, des vivres abondants. Pour eux ou leurs chevaux, jamais de distributions. Ils doivent, à leurs frais, se procurer le nécessaire ; malheur à eux s’ils se laissent affaiblir par le manque

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