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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Monsieur de Vineuil à madame de Vineuil.
Paris, le 1er octobre.

Hier, il y a eu combat entre Villejuif et Chevilly ; ni succès, ni défaite ; du moins, progrès réel dans la tenue et l’aplomb de nos troupes. Mais c’est ma fermeté à moi qui se trouve en décadence, chère femme. Ce bout de champ de bataille, bien peu de chose pourtant auprès de nos boucheries de la Crimée, m’a profondément remué. Je ne sais pas le nombre des morts, mais certainement il ne pouvait pas être très-considérable ; eh bien, j’ai été, je suis encore navré.

La guerre est une chose atroce. Nous plaignons nos campagnes ravagées, nos ponts qui sautent de toutes parts, mais ce n’est rien, rien, auprès de la vue de ces pauvres corps mutilés. Ah ! je le sens bien, se savoir deux fils au feu ou près d’y être, ouvre cruellement les yeux et aide à apprécier ces détails horribles que la fumée de la gloire cache aux officiers de vingt ans. Être père, savoir ce qui se dépense de dévouement, d’orgueil et d’amour auprès de ces jeunes vies, puis voir les enfants des autres et les siens après, alignés comme autant de cibles à