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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

gaiement, et ils en souffrent moins, puis ils sont pleins de confiance et trouvent leurs privations peu de chose en comparaison de la gloire du succès qu’ils rêvent.

Et vous, mes exilés, mes isolés, mes chers affligés, quand serai-je assez heureux pour recevoir un mot de vous ? Pas une ligne ne m’est arrivée depuis mon départ des Platanes. On calculait que l’ennemi pouvait atteindre S… le 15. — Aucun renseignement sur sa marche de ce côté n’est parvenu à l’état-major. J’ai fait questionner ceux des réfugiés des cantons environnant S… que j’ai pu découvrir, aucun n’a été plus heureux que moi.

Ce grand et soudain silence a quelque chose d’effrayant.

Hier j’étais à Saint-Denis, au bastion de Maurice, et nous regardions sans nous lasser ce nord-est dont la brume nous voilait nos bien-aimés. La plaine était absolument solitaire : pas un cri, pas un coup de fusil, les sentinelles ennemies se tenaient si bien cachées qu’on les oubliait, vous seuls remplissiez notre pensée, et un désir poignant de vous revoir s’était emparé de nous. Il nous semblait — nous nous le sommes dit après — que c’était trop douloureux de vivre ainsi ; dix lieues d’un pays connu à traverser, à peine trois heures au trot d’un bon cheval, et nous mettrions fin en nous revoyant tous à cette horrible angoisse. — Mais voici une petite fumée blanche qui