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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

pérorait au milieu d’un groupe avec l’air important d’un homme dont les moindres paroles font partir pour Paris des colonels du génie. On a interrompu les discours quand mon père a paru, pâle et les larmes aux yeux, mais ferme sur son grand cheval. Il a dit quelques mots pour recommander la prudence à chacun, et comme il savait que quelques trop bonnes âmes se proposaient de traiter de leur mieux les Prussiens pour n’en avoir rien à craindre, il a rappelé que si l’homme prussien blessé ou malade était seulement un homme à secourir, le soldat prussien, dans ses fonctions de soldat, était un ennemi ; et que tout secours à lui donné directement ou indirectement serait un secours donné à l’ennemi contre le pays. Puis papa s’est retourné vers nous, son regard nous a bénis encore une fois ; nous savons qu’il pensait à toi comme à nous.

Le reverrons-nous jamais, André ? Est-ce un pressentiment que ce serrement de cœur qui ne me quitte pas ? Il me semble que tout s’effondre, que tout le monde va mourir et que les premiers partis seront les privilégiés.

Maman me gronderait de t’écrire cela. Elle nous disait hier soir, au milieu de son chagrin : « La parole nous a été donnée pour nous encourager et non pour nous décourager, » et elle met son principe en pratique. Après cet affreux adieu à mon père, elle nous a emmenés dans sa chambre, et a pris la