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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

à M. de Vineuil lui-même, qui la détournait de son dessein, elle avait répondu : « Puisque tu y vas, j’irai. Nous avons trop souffert séparés, du moins ne souffrons plus qu’ensemble. » Et elle était venue. On comptait les consolations qui lui étaient laissées. André, pâle et désolé, tenant son petit frère par la main, les deux sœurs s’appuyant l’une sur l’autre ; on suivait sur la noble figure de M. de Vineuil la lutte de sa douleur contre sa résignation de chrétien, et ceux mêmes que la seule curiosité de voir un enterrement protestant, chose si rare en ces contrées, avait fait sortir de chez eux, ne pensaient plus qu’à ces cœurs brisés, qu’à cette belle espérance moissonnée.

Ainsi on atteignit les boulevards qui, en été, ceignent la ville de verdure et par lesquels il faut passer pour gagner le cimetière. Le cortège couvrait la chaussée dans presque toute sa largeur, quand survint un incident qu’on aurait pu prévoir et peut-être même empêcher. Les chevaux d’un escadron prussien sortaient de la caserne pour aller à l’abreuvoir. Un officier était en tête, chaque soldat à cheval menait un autre cheval par la bride, et ces hommes, épanouis dans le triomphe qui leur valait une paix lucrative, jouissant du beau temps, de la quasi-liberté de la petite tenue, laissaient bondir leurs chevaux, et causaient et riaient en descendant le Cours à la rencontre de la foule affligée qui montait. Le corps avait été