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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

en attendant ? Sais-tu que nous sommes gardés ? Marie n’a pas pu venir jusqu’ici. Il y a une sentinelle derrière cette porte. »

Elle fut encore longue à passer, cette matinée-là. Les sentinelles qu’on relevait ne savaient pas le français et feignaient de ne pas comprendre notre allemand. À dix heures, deux tasses de café nous arrivèrent par les mains d’un soldat. Sur le plateau était une carte de visite du major de *** portant ces mots au crayon : « Avec ses respectueuses civilités et humbles excuses. Partira à midi. »

Vers midi en effet, nos arrêts étaient levés, les domestiques nous rejoignaient, empressés de commencer leurs récits, avant même que les officiers allemands, réunis dans la cour, fussent tous à cheval. Je crus que nos gens exagéraient, mais notre pèlerinage à travers les chambres nous révéla ce que pouvait faire, quand il était contrarié, ce prince « tout à fait charmant ». La dévastation est ingénieuse, il a fallu penser pour si bien détruire en si peu de temps. Trois pièces n’ont aucunement souffert, comme si leurs occupants s’étaient refusés à obéir au mot d’ordre. Je n’ai pas encore eu le temps de m’assurer si nous avons été volés, je ne le crois pas, et d’ailleurs, nos cachettes gardent encore la meilleure partie de nos objets précieux. Mais dans les chambres condamnées on a fait ce qu’on a pu ; et pour te donner un détail, là où il y avait des tentures d’étoffe, elles