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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

il travaille toute la journée à l’aide de documents et de plans que le général Ch.-L… lui a envoyés par une estafette. Maman s’enferme avec lui, et, quelque effort qu’elle fasse, elle parait chaque jour plus triste. On n’a un bon moment que le soir. Papa prend alors Marguerite sur ses genoux et il explique, en s’adressant à Robert qui le dévore des yeux, mille choses sur la vie des soldats et l’organisation des armées qu’il me semble apprendre aussi.

Mon père a une manière d’enseigner qui n’est pas celle de tout le monde ; l’élément moral tient plus de place dans ses préoccupations que tous les éléments matériels réunis, et l’on voit que sa grande inquiétude pour notre pauvre pays n’est pas qu’il manque de canons ou d’argent, mais qu’il manque d’hommes qui sachent faire leur devoir avec conscience. Je crois que papa est la seule personne à qui je puisse entendre parler des défauts des Français.

Il y a des gens qui semblent prendre plaisir à énumérer les faiblesses et les fautes du temps présent, et qui se réfugient dans le dégoût pour se dispenser de l’action ; il y en a d’autres qui récapitulent les folies et les malheurs passés et en prédisent de plus terribles encore avec un air si découragé qu’on finit par les excuser, eux aussi, de ne rien faire.

Mon père, lui, n’a ni ironie ni désespoir. Il voit mieux que personne nos plaies, mais comme l’on