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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

est triste. On sent la souffrance autour de soi si grande, qu’elle oppresse ; on n’ose plus, comme jadis, regarder dans la rue les passants au visage ; on craint trop de rencontrer l’œil enfoncé et le teint blême de malheureux pour lesquels on ne peut rien. Oh ! l’empereur d’Allemagne ! de quel fardeau il charge sa vieillesse ! Chaque jour il profane les paroles du Saint Livre en les associant à ses ordres ou à ses triomphes sanguinaires, et il n’a pas su trouver dans ce même Livre une seule leçon de miséricorde ou de simple justice ! Il mêle ce qu’il y a de plus odieux à ce qu’il y a de plus sacré, et l’on dirait qu’il veut faire reculer le xixe siècle jusqu’au pire moyen âge dont il semble échappé !

Et cependant, il y a des gens heureux dans la ville désolée !

J’entrais ce matin à l’ambulance Chaptal, le jour commençait à peine ; je croisai sous le porche Mme *** qui sortait.

« Je croyais que vous ne deviez plus passer de nuits ? lui dis-je.

— Je ne le fais pas habituellement, répondit-elle, mais mon 219 allait mourir ; vous savez que nous nous aimions beaucoup ; il m’a priée de rester jusqu’à la fin. Il a peu souffert au dernier moment, le pauvre garçon !

— Peut-être, mais vous ! pour vos forces, il faudrait que le siége se terminât.