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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

aussi, car le froid est dans des numéros qu’on n’a jamais vus, avec un pied et demi de neige. On prétend que, dans les temps éloignés, on avait coutume d’arrêter les guerres tant que l’hiver durait ; ça me semblerait mieux entendu et on devrait revenir à ça, car c’est seulement un métier à geler les gens tout vifs qu’on pratique pour l’instant.

C’est ce qui me ramène à mon objet, qui est de prévenir madame que ce n’est plus une guerre à laisser faire à un jeune homme de bonne famille, comme est M. André. Il arrive juste ici où je l’attendais depuis ce matin, ayant pu prendre de l’avance sur l’armée, et j’affirme à madame que si madame sa mère ou madame elle-même voyait où en est réduit un jeune monsieur si robuste et on peut bien dire si avenant, elles ne le laisseraient pas un jour de plus à un métier que je n’ai trouvé beau jamais, mais qui est maintenant tout-à-fait gâté.

Faudrait que ces dames se pussent imaginer ce que c’est qu’une marche du matin au soir, et tous les jours, dans un pied de neige, fondue ou pas fondue, souliers percés, jambes mouillées, dos mouillé, et rien dans le ventre. Pas trois hommes vont à leur rang, on se bouscule, on se presse ; on s’arrête en tête, la queue pousse et crie ; un malheureux tombe, tant pis pour lui, on passe dessus. Voilà un fourgon avec la roue cassée, vite au pillage ! il faut manger du moins un morceau avant de crever ! — Boum, boum,… c’est