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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

cerveau fatigué se rappelait vaguement. Encore quelques pas…

« Barbier ! m’écriai-je tout à coup.

M. André ! ce peut-il bien être vous ?

— Mais, Barbier, votre fils ?

— Prisonnier, M. André ! Prisonnier et bien portant, une fière chance, allez ! Aussi je suis revenu voir après vous depuis déjà quinze jours, et c’est ça qui me fait guigner tout ce qui passe.

— Mon cher Barbier !… ne vous inquiétez plus de moi ; voyez, je n’ai pas une blessure et il me faut vous quitter en hâte.

— Ça ne fait rien, on vous reverra. Où allez-vous ?

— Route de Laval, c’est tout ce que je sais. »

Ce revoir a été un éclair de joie, mais que vous dire, ma pauvre chère maman, de ce qui a suivi ! Ce n’est pas seulement contre l’ennemi qu’il faut se battre, c’est contre la maladie, la faim, le gel des membres, le découragement qui pousse au suicide. — Hier, un lieutenant s’est tué devant moi. — La lassitude est telle, qu’on se couche dans les fossés et qu’on y reste. La faim décide des centaines d’hommes à se perdre dans le brouillard pour chercher l’ennemi et se faire prendre et nourrir. Les chefs ne sont plus rien, on n’écoute que sa souffrance. Et pourtant il y a des âmes qui résistent à cette épouvantable débâcle morale. Si je vous revois, que de choses à vous conter I