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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

— Eh bien, père, je n’ai pas peur du tout de rester ici, et je pense comme maman que nous serons à notre place. Le vieux Hallier, Mme Reboul, puis Augustine, sont venus demander aujourd’hui ce que nous ferions avant de prendre eux-mêmes un parti ; je vois qu’on a très peur.

— Oui, a dit papa, on se souvient des Cosaques en 1815, et l’on s’attend à revoir des sauvages semblables. Grâce à Dieu, les temps ont marché et la guerre ne se fait plus comme jadis. En 1815, la barbarie avait d’ailleurs un prétexte ; c’était des représailles de nos invasions à nous. Cette vieille querelle-là est vidée, il n’y a plus de haine entre les peuples. Si ta mère persiste à rester, ce n’est pas l’occupation allemande que je redouterai le plus dans un canton qui ne se défend pas ; c’est l’isolement, la privation de nouvelles, ce sont les inquiétudes qui en seront la suite. Au reste, nous reparlerons de cela demain ; mais puisque tu écris à André, dis-lui toujours où nous en sommes et que mon départ à moi est décidé. »

Voilà qui est fait, je t’ai tout dit, cher frère ; j’ai mis les mots de chacun pour m’empêcher d’employer ceux qui rendraient ma pensée vraie, celle que j’ai dans le cœur : André, qu’allons-nous faire sans papa, sans toi et sans Maurice ? Nous vous imaginerons tués à chaque bataille dont on parlera ! Il faut que mon père juge le danger de la patrie bien sérieux