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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

car telle était sa qualité, nous montra une route à gauche.

« Avec cette neige, dit-il, vaudrait mieux vous arrêter jusqu’à demain, malgré les autres risques. Vous pouvez entrer dans la première ferme que vous trouverez sur votre droite. Ils nous ont fusillé là un camarade la semaine dernière, car c’est ça leurs habitudes avec nous ; faites-vous dire l’histoire si vous voulez quelque chose de gentil de leur part. Adieu et bonne chance !

— Où allez-vous !

— Rejoindre les camarades ici près.

— Vous oubliez les tricots, dit M. Richard, voilà notre reste.

— Merci bien. Auriez-vous pas du pain ? fit-il en hésitant.

— Oui, mais bien peu et bien sec.

— Ça ne l’ait rien, si seulement ça ne vous prive pas. »

Je lui donnai le pain, puis une poignée de main ; et sa silhouette noire se perdit bientôt pour nous derrière la pluie de neige.

Quelle que fût notre excitation morale, nous nous sentions harassés. Il nous tardait de rencontrer la ferme promise ; heureusement que nous ne la manquâmes pas malgré l’obscurité croissante. On nous y reçut comme un mal inévitable, mais nous ne demandions que de la paille et le droit de nous étendre.