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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Pendant que nous discutions plus haut que nous n’aurions dû, un homme, un vivant du moins, avait surgi du taillis voisin.

Blouse, képi, sac au côté et fusil sur le dos, ce ne pouvait être qu’un Français, sans doute un franc-tireur.

« Vous en avez un rude toupet de passer par ici, dit-il presque gaiement en approchant. Bien vous prend d’avoir un air tout rond et point d’accent deutsch !

— C’était votre compagnon ? lui dis-je.

— Oui. Même c’est moi qui lui ai mis en tête de partir… Pauvre garçon ! je lui redois quelque chose pour le coup qui l’a mis à bas ! Si dur qu’on soit, un camarade perdu, c’est du vrai chagrin.

— Enterrons-le.

— Pas moyen ; la neige va s’en charger. Ce matin, les uhlans étaient trop, j’ai dû m’esquiver ; maintenant ils sont rentrés chez eux, et je revenais le voir une fois. Et puis, je veux avoir les peaux de mouton des autres. C’est bon cela pour coucher dessus, on n’est pas mouillé. »

Et il fit deux pas vers les cadavres des uhlans.

« Oh ! laissez-les ! nous vous donnerons des tricots — les voilà tués, maintenant, laissez-les ! »

Il nous lança un singulier regard :

« Cela vous fait pitié à vous, hein ? Eh bien, pas à moi. Je déteste les Allemands.