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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

mon brave M. Richard. Ce trajet d’Oucques jusqu’ici m’avait ramené la fièvre, et ma cervelle a battu la campagne pendant les deux premiers jours. C’est pourquoi il m’a gardé avec deux autres, tandis que la plupart des camarades étaient acheminés, après quelques heures de repos seulement, sur Épuisay, Saint-Calais, puis le Mans.

Je me suis retrouvé moi-même le 15, à temps pour entendre commencer une canonnade digne d’un jour de bataille. Suivant mon hôte, le général Chanzy voulait garder aussi longtemps que possible la ligne du hoir ; les troupes étaient fermes, quoique abîmées de fatigue ; les choses se passaient avec ordre.

Mon cher régiment, où était-il ? que faisait-il ? Cela était terrible à penser.

Toute cette journée du 15, j’entendis, avec le canon, le bruit des charrois de notre armée qui traversaient la ville et faisaient trembler notre petite maison. À chaque nouveau fourgon qui passait, une de ces affreuses mâchoires, trop facile à la détente, s’entr’ouvrait avec un petit bruit. Il me fallait fermer les yeux pour ne plus la voir. À la nuit, on sut que la ville serait abandonnée et nous avec elle. Mon pauvre dentiste m’a consolé de son mieux ; il m’a parlé raison de votre part, et m’a dit que je serais encore longtemps un embarras pour l’armée. Cela est peut-être vrai ; mais quelle triste nuit ! Je n’étais pas résigné au fond, et je le tourmentais pour avoir, de