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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

mands ; eh bien ! cela est un blasphème, et j’en demande pardon à mon pays ! Oui, nous sommes un pauvre peuple amolli et démoralisé ; oui, il y a des égoïstes parmi nous et j’en ai été ; des écervelés et même des violents ; il y a tout cela et encore tout ce qu’on voudra, mais il n’y a pas en France une telle perversion de la conscience, un tel cynisme dans le mal, qu’il soit légalement et administrativement possible de prendre occasion du meurtre qu’on a commis soi-même, pour extorquer dans une légalité injuste les dernières ressources des survivants !

Et remarque que ce n’est pas un vulgaire escroc qui imagine cela, ce n’est pas le crime d’un homme seul, c’est le crime d’une nation. Ce sont ses chefs les plus élevés qui, avec liberté et réflexion, l’ordonnent, ce sont ses lois qui le permettent… Que maudites soient ses apparences menteuses d’ordre et de civilisation ! Elles parviendraient à dégoûter l’humanité des choses les plus saintes. — L’ordre, c’est le bien ; le mal n’est pas l’ordre. L’ordre dans la cruauté, dans le vol, l’ordre dans la haine, sont les plus effroyables désordres qu’œil humain ait jamais contemplés !

En attendant, Adolphe a payé. Bien lui prend d’être venu ici fourni d’argent pour les affaires de Roland. « Vous savez que c’est une infamie ? » a-t-il dit à l’officier qui préparait sa quittance ; celui-ci a eu un demi-sourire sous sa moustache en répondant : « Je

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