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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

lument que l’homme français qui avait poussé avec violence un soldat allemand comparût devant eux. Le sous-officier semblait résolu à forcer la porte ; j’eus la tentation folle de résister, de me faire tuer là, moi aussi, pour que quelque chose au moins leur fît honte ; il eût été doux de défendre les derniers instants du malheureux que j’entendais râler — je ne l’ai pas fait.

J’ai précédé les soldats. Mais la mort avait été plus fidèle que moi et plus puissante aussi ; elle était là et accomplissait son œuvre de délivrance.

Les Prussiens ont pourtant su partir, et je suis restée avec la femme de Louis, maintenant sa veuve, qu’on avait été chercher. L’ai-je pu consoler, la malheureuse, quand il me semblait à moi-même que le fardeau était plus lourd qu’on ne le pouvait porter ! Ai-je pu apaiser sa haine quand mon propre cœur haïssait et maudissait ? Je me souviens de lui avoir parlé du monde meilleur où le Seigneur essuiera toute larme de nos yeux ; mais en attendant, j’ai pleuré plus que parlé, et peut-être que mieux valait.

Et ce n’était pas fini.

Pendant que j’étais près de la pauvre femme, ces messieurs recevaient un ordre de payer vingt mille francs d’amende, pour coups donnés par un français à un soldat allemand sous les armes.

Les officiers parlaient français ; Adolphe et Roland