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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

L’officier est mort, mort aussi un mobile qui avait une artère coupée, l’hémorrhagie n’a pu être arrêtée à temps. Quels vides se feront encore avant la nuit ? Tu le sais, ô Dieu ! et tu sais aussi de quel cœur je te bénis pour nous avoir amenés ici. Moi qui murmurais, moi qui craignais, quand le vieux ménage allait justement trouver sa tâche et la seule consolation à son deuil !

La fusillade ne cesse pas, elle nous entoure, mais nous n’avons plus de pensées pour elle, le canon a recommencé, et près que deux carreaux viennent de voler en éclats. Je ne sais comment nous ferons, si tous y passent, pour empêcher nos pauvres gens de geler. Les volets ont été brûlés et les rideaux servent de draps ou de couvertures.

J’ai été interrompue par un pauvre garçon qui délirait. Il se croyait chez lui et balbutiait mille tendresses aux siens. Il dit qu’il est si bien, si heureux, si bien couché. Au reste, c’est l’extase de chacun que ce seul matelas que nous lui accordons. L’opération de la mise au lit amène chez tous, pour un instant plus ou moins long, la même béatitude d’expression. Il y a un moment fugitif de ravissement que la souffrance chasse trop tôt, mais qu’il est infiniment doux de saisir sur ces visages. Il nous faudrait un médecin, un chirurgien, quelqu’un enfin qui osât. Nous ne pouvons qu’adoucir les maux. J’ai voulu faire chercher le petit docteur, mais la traversée d’ici à Che-

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