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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Nuit du 2 au 3 décembre.

Impossible de dormir, je reviens à ma lettre, qui prend les proportions d’un journal.

J’ai su que le général en chef, qui est à Chevilly depuis ce matin, est très-content. Seulement il ne communique aucune nouvelle. Il en faudrait bien, pourtant, pour contrebalancer l’effet des méchants bruits que l’on fait courir (probablement l’ennemi lui-même) pour amener une panique. Le piéton de la poste a passé ce soir ; il affirme qu’il n’a pu entrer à Artenay, que les Prussiens entouraient le village, les nôtres tenaient bon, retranchés dans les maisons.

« Faites attention à vos paroles, lui ai-je dit, vous pourriez faire croire que nous sommes battus, et personne n’a vu un fuyard. — Excusez, madame, m’a-t-il répondu, il y en a tout plein déjà à Chevilly. » Et comme je répétais : « Ce n’est pas possible, » l’homme est parti grommelant et disant : — Vous le croirez peut-être quand vous y serez. »

J’ai recommandé à Roland de se souvenir plus tard du rôle joué par cet homme.

Et pourtant, s’il a dit vrai ? Il est affreux de passer encore une nuit dans une pareille incertitude.