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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

dit Adolphe avec son air calme. Depuis cette malheureuse parole, je n’ai pu penser à autre chose.

Enfin, après une heure et demie de ténèbres, quand nous avions déjà regagné la chaussée depuis quelque temps, nos Allemands ouvrirent la portière, rendirent le fouet au cocher, et, après avoir reçu leur pourboire, nous laissèrent libres. Dès le second tour de roue, nos deux têtes se penchaient au dehors, espérant percer le mystère, mais les coquins avaient eu soin de nous arrêter après un pli de terrain : impossible de rien découvrir, si ce n’est eux-mêmes se hâtant de rejoindre leurs camarades. La première borne kilométrique que nous rencontrâmes portait le chiffre 23 ; nous étions à près de six lieues d’Orléans, trois lieues de Chevilly.

Nous oubliâmes bientôt nos Hessois à la vue des cadavres de chevaux et des débris de toutes sortes qui jonchaient cette partie de la route. Je ne connais rien de lamentable comme un cheval mort ; ce cou roidi, étendu par terre et qui semble démesurément allongé ; ces gros yeux vitreux, et je ne sais quoi de résigné, de réellement victime dans toute l’attitude, me cause une pitié toute particulière. Plus loin, ces cadavres de chevaux s’apercevaient jusqu’au milieu des champs, à droite et à gauche ; il devait y avoir eu là quelque engagement. Des blessures toutes fraîches visibles sur l’un d’eux tombé sur la route même, me firent penser que l’engagement avait été

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