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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Madame de Thieulin à madame de Vineuil.
Château de Thieulin, 28 novembre.

Seraient-ils vraiment tous passés ? Aurions-nous vu la fin de ces longues files de voitures chargées de nos biens à tous ? Je n’ose l’espérer ; mais enfin nous respirons un moment, tandis que tes maux, ma pauvre sœur, ne te laissent pas de relâche. Ce supplice, qui a cessé pour nous, de compter du regard tous ces hommes en se disant avec désespoir qu’ils sont trop nombreux, que résister n’est plus possible, il dure et durera encore longtemps pour toi. Au moins as-tu de bonnes nouvelles de tes guerriers. Barbier m’écrit, dans son langage impossible, que M. André est quasiment un héros, — héros soit, du moins reste-t-il le plus gai des héros.

Si l’invasion t’a laissé un de tes beaux canards, jadis honneur de ta rivière, contemple-le par une de ces larges pluies dont le ciel devrait nous faire grâce au moment où trois cent mille Européens d’un siècle de perfectionnement couchent à la belle étoile, par suite de l’imperfectionnement de deux royales cervelles, contemple, dis-je, ton canard par la pluie, et tu auras une image affaiblie de l’épanouissement que