Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

126
UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Madame de Thieulin à madame de Vineuil.
Château de Thieulin (Eure-et-Loir), 23 novembre.

Chère sœur,

Où allons-nous ? Qu’allons-nous devenir ? Qui sait si cette lettre te parviendra jamais ? Et pourtant j’ai besoin de t’écrire. Il me faut te raconter mes douloureuses impressions ; pour moi-même, il me faut réagir contre cet affreux sentiment d’isolement, d’éloignement, d’abandon dont je me sens oppressée depuis que l’ennemi est là ; car le fléau prussien nous atteint aussi, ma pauvre sœur, et même il semble vouloir frapper plus fort sur nous qu’il ne l’a fait dans vos cantons. Je veux écrire tout ce qui nous arrive. Tu sais, du reste, que je n’ai point l’âme si bien trempée que toi, mais peu m’importe ce qu’on pensera de mes faiblesses ! Je voudrais bien vous y voir, critiques, mes amis ! Que nous sortions seulement tous vivants de là, et je me résigne de grand cœur à ce que mes terreurs remettent en gaieté la famille des Platanes.

Nous savions que le 20, au soir, l’ennemi était entré à la Loupe. Mercredi, Adolphe, qui avait plu-