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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

cevoir. J’appelai François et un long conseil fut tenu. Cacher le fugitif dans la maison ou dans une grange n’était pas possible, les Prussiens entrant partout ; c’est à peine si nos chambres et le salon sont à l’abri de leur intrusion. François proposa de lui faire passer la nuit dans l’une des huttes de charbonnier de la forêt, mais on n’en pouvait trouver à portée que du côté de Mortefontaine, c’est-à-dire en se rapprochant de Paris, tandis que maman aurait voulu le mettre sur la route du nord, où la libre terre française peut être plus tôt rencontrée. En attendant la décision, je remplissais le carnier de mon père avec de la viande froide, du pain, du vin ; il y a bien tenu la nourriture de trois jours.

Un peu avant six heures, maman a mis son châle pour conduire François jusqu’au tas de feuilles où devait être notre homme ; justement on est venu l’avertir que le sergent prussien demandait à la voir ; or il faut à ce sergent une heure pour expliquer le moindre détail. Maman m’a passé son châle.

« Veux-tu conduire François ? m’a-t-elle dit, tu sais qu’il faudra revenir seule ? »

J’ai pris son châle avec un vague sentiment que je mourrais de peur, mais qu’il fallait aller.

Nous nous sommes glissés par les allées les plus sombres. Heureusement que la pluie était venue, une pluie froide et serrée qui ôtait aux prudents landwehr toute envie de fumer dehors. Nous avons atteint le