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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Tu connais ce chemin rapide qui contourne l’église ? Nous le descendions an petit pas, par égard pour les vieilles jambes de Poney :

« Ils y sont déjà !… s’écria François en arrêtant court. Les gueux ! voyez-les !… »

En effet, cent cinquante à deux cents cavaliers étaient arrêtés sur la place, devant l’épicerie. Leurs grands manteaux leur donnaient un air imposant, peu de bruit du reste parmi eux. Le cabaretier, sa femme qui avait un poupon sur le bras gauche, et une vieille voisine, allaient de l’un à l’autre, versant du vin ou de l’eau-de-vie, je ne sais lequel.

« Comment passerons-nous ? » dis-je tout bas à François.

À ce même moment, voici ce que je vis :

La femme du cabaretier levait son broc d’étain pour verser dans le verre d’un soldat qui nous tournait le dos. Ce soldat saisit le broc et fit le geste de boire à même. La femme résista un instant, elle ne voulait pas lâcher l’anse qu’elle tenait, — quelque chose remua sous le manteau du cavalier, sa main droite s’étendit, — il y eut une détonation, et nous vîmes la malheureuse tomber comme une masse sur le sol sans lâcher son enfant.

Robert poussa un cri qui nous rappela à nous-mêmes ; le pauvre petit s’était levé, tout pâle de frayeur ; François le contint d’un geste énergique ; frémissant lui-même, il obligea le Poney à retourner

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