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Un Vaincu.

lard qui figurait assez bien une île dans une mer de verdure. Le général fit les honneurs du repas avec la politesse aimable qui lui était habituelle. Il fut plusieurs fois question de partager le morceau de lard, mais chacun, sentant la valeur d’une telle friandise, refusa discrètement d’en goûter, si bien qu’il fut emporté intact.

Le lendemain on ne le vit pas reparaître, et le général demanda ce qu’il était devenu. Le domestique fut obligé d’avouer que ne trouvant rien à acheter dans le camp pour le dîner de la veille, il avait dû emprunter ce morceau de lard à un courrier « et, ajouta-t-il, puisque les invités n’en avaient pas voulu, il fallait bien le rendre à l’homme de qui il venait. »

Si tels étaient les régals des chefs, on peut imaginer quel était l’ordinaire des soldats et l’on s’étonne de ne rencontrer, en feuilletant les publications du temps, aucune trace d’une plainte de leur part.

Mais leur général ne croyait pas au-dessous de sa dignité d’adoucir leurs privations en leur témoignant qu’il les appréciait, et de soutenir