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marché d’après lequel il se réservait une part des beaux profits qu’il lui abandonnait. Si ce marché exista, ce qui est douteux, il est certain qu’il ne fut pas tenu. Antoine pilla sa province, mais il la pilla pour lui seul, et Cicéron n’en tira jamais rien. Douze ans plus tard, sans l’avoir souhaité, il fut nommé proconsul de Cilicie. Nous savons qu’il n’y resta qu’un an, et que, sans commettre aucun acte illégal et en faisant le bonheur de ses administrés, il trouva moyen d’en rapporter 2.200.000 sesterces (440.000 francs), ce qui nous donne une idée de ce qu’on pouvait gagner dans les provinces quand on ne se faisait pas scrupule de les piller. Du reste, cet argent ne profita pas à Cicéron : il en prêta une partie à Pompée, qui ne la lui rendit pas, et il est probable que la guerre civile lui fit perdre le reste, puisqu’il se trouvait tout à fait sans ressources quand elle fut terminée.

C’est donc ailleurs qu’il faut chercher l’origine de sa fortune. S’il avait vécu de nos jours, nous ne serions pas en peine pour savoir d’où elle lui est venue. Elle serait suffisamment expliquée par son beau talent d’avocat. Avec une éloquence comme la sienne, il ne manquerait pas aujourd’hui de s’enrichir vite au barreau ; mais il y avait alors une loi qui interdisait aux orateurs d’accepter aucun salaire, aucun présent de ceux pour lesquels ils avaient plaidé (lex Cincia, de donis et muneribus). Quoiqu’elle fût l’œuvre d’un tribun, qui l’avait faite, dit Tite-live, dans l’intérêt du peuple[1], c’était au fond une loi aristocratique. En ne permettant pas à l’avocat de tirer un profit légitime de son talent, elle écartait du barreau ceux qui n’avaient rien, et réservait l’exercice de cette profession aux riches comme un privilège, ou plutôt elle empêchait que ce ne fût vérita-

  1. Histoires, XXXIV, 4.