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le milieu dans lequel on vit, et il est possible que ce qui serait de l’opulence quelque part soit à peine de l’aisance ailleurs. Or, on sait qu’à Rome la fortune était loin d’être aussi également répartie que chez nous. Quarante ans avant le consulat de Cicéron, le tribun Philippe disait que, dans cette immense ville, il n’y avait pas deux mille personnes qui eussent un patrimoine[1] ; mais aussi celles-là possédaient toute la fortune publique. Crassus prétendait que, pour se dire riche, il fallait qu’on pût nourrir une armée de ses revenus, et nous savons qu’il était en état de le faire sans se gêner. Milon trouvait moyen de s’endetter en quelques années de plus de 70 millions de sesterces (14 millions de francs). César, encore simple particulier, dépensait d’un seul coup 120 millions de sesterces (24 millions de francs) pour faire cadeau d’un nouveau forum au peuple romain. Ces profusions insensées supposent des fortunes énormes. À côté d’elles, on comprend que celle de Cicéron, qui suffisait à peine à l’achat d’une maison sur le Palatin, et qu’épuisaient presque les embellissements de sa villa de Tusculum, quelque considérable qu’elle nous semble aujourd’hui, devait alors paraître assez ordinaire.

De quelle façon l’avait-il gagnée ? Il n’est pas sans intérêt de le savoir pour répondre aux méchants bruits que ses ennemis faisaient courir. Il dit quelque part que les moyens par lesquels on faisait honnêtement fortune à Rome étaient le commerce, les entreprises de travaux publics et la ferme des impôts[2] ; mais ces

  1. De offic., II, 21 : Les choses n’étaient pas changées au temps où Cicéron fut consul. Nous voyons que son frère, dans la lettre qu’il lui adresse alors, dit qu’il y a dans Rome peu de chevaliers, pauci equites, c’est-à-dire peu de gens possédant plus de 80.000 francs.
  2. Parad., 6. Qui honeste rem quœrunt mercaturis faciendis, operis dandis, publicis sumendis etc.