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vaincu le consul[1]. » — « Mes soldats sont à vous, » lui écrit un autre[2]. On lui rapporte la gloire de tout ce qui arrive d’heureux à la république. C’est lui qu’on félicite et qu’on remercie de tous les succès qu’elle obtient. Le soir où l’on sut à Rome la victoire de Modène, le peuple entier vint le prendre à sa maison, le conduisit en triomphe au Capitole, et voulut entendre de sa bouche le récit de la bataille. « Ce jour, écrit-il à Brutus, m’a payé de toutes mes peines[3]. »

Ce fut le dernier triomphe de la république et de Cicéron. Le succès est quelquefois plus fatal aux coalitions que les revers. Quand l’ennemi commun, dont la haine les réunissait, est vaincu, les dissentiments particuliers paraissent. Octave voulait affaiblir Antoine pour en obtenir ce qu’il désirait ; il ne voulait pas le détruire. Lorsqu’il le vit fuyant vers les Alpes, il lui tendit la main, et tous les deux marchèrent ensemble sur Rome. Dès lors il ne restait plus à Cicéron « qu’à imiter les braves gladiateurs, et à chercher comme eux à bien mourir[4]. »

Sa mort fut courageuse, quoi qu’ait prétendu : Pollion, qui, l’ayant trahi, avait intérêt à le calomnier. J’aime mieux croire au témoignage de Tite-Live, qui n’était pas de ses amis et qui vivait à la cour d’Auguste : « De tous ses malheurs, dit-il, la mort est le seul qu’il supporta comme un homme[5]. » C’est bien quelque chose, il faut l’avouer. Il pouvait se sauver, et un moment il l’essaya. Il voulut partir pour la Grèce, où il aurait retrouvé Brutus ; mais après quelques jours de navigation, contrarié par le vent, souffrant de la mer, tourmenté surtout de regrets et de tristesses, découragé de vivre, il se fit descendre à Caïète, et revint dans sa

  1. Ad fam., XII, 13.
  2. Ad fam., XII, 12.
  3. Ad Brut., 3.
  4. Philippiques, III, 14.
  5. Apud Senec., Suas, 6.