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ces grands mots de patrie et de liberté que le forum allait bientôt ne plus entendre. De Rome, l’ardeur gagna les municipes voisins, et de proche en proche toute l’Italie fut remuée. Ce n’est pourtant pas assez pour lui, et il va chercher plus loin encore des ennemis à Antoine et des défenseurs à la république. Il écrit aux proconsuls des provinces et aux généraux des armées. D’un bout du monde à l’autre, il gronde les tièdes, il flatte les ambitieux, il félicite les énergiques. C’est lui qui pousse Brutus, toujours hésitant, à s’emparer de la Grèce. Il applaudit au coup de main hardi de Cassius qui le rend maître de l’Asie, il excite Cornificius à chasser d’Afrique les soldats d’Antoine ; il donne du cœur à Decimus Brutus pour résister dans Modène. Les adhésions qu’il sollicite avec tant de passion lui arrivent de tous côtés. Même ceux qui sont des ennemis et des traîtres n’osent pas lui refuser ouvertement leurs concours. Lépide et Plancus font des protestations emphatiques de fidélité. Pollion lui écrit d’un ton solennel « qu’il jure d’être l’ennemi de tous les tyrans[1]. » De toutes parts on demande son amitié, on sollicite son appui, on se met sous sa protection. Ses Philippiques qu’heureusement il n’a pas le temps de refaire, se répandent dans le monde entier à peu près comme il les prononce, et gardant, avec les vivacités du premier jet, la trace des interruptions et des applaudissements du peuple. Ces improvisations passionnées vont porter partout l’émotion de ces grandes scènes populaires. On les lit dans les provinces, on les dévore dans les armées, et des pays les plus lointains arrive à Cicéron le témoignage de l’admiration qu’elles inspirent ! « Votre toge est encore plus heureuse que nos armes, » lui dit un général victorieux, et il ajoute : « Chez vous le consulaire a

  1. Ad fam., X, 31.