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de son oncle qui y étaient établis. Son nom, ses largesses, les promesses dont il était prodigue, lui amenèrent vite des soldats. À Calatia, à Casitinum, en quelques jours il en trouva trois mille. Alors il s’adressa aux chefs du sénat, leur offrit l’appui de ses vétérans, leur demandant pour tout salaire de l’avouer dans les effort, qu’il allait l’aire pour les sauver. Dans une telle détresse, il n’y avait pas moyen de refuser ce secours sans lequel on périssait, et Cicéron lui-même, qui avait témoigné d’abord quelques défiances, se laissa séduire à la fin par ce jeune homme qui le consultait, le flattait et l’appelait son père. Quand on fut sauvé grâce à lui, quand on vit Antoine, abandonné de plusieurs de ses légions, forcé de quitter Rome, où Octave le tenait en échec, la reconnaissance du sénat fut aussi prodigue que sa frayeur avait été grande. On combla le libérateur de dignités et de compliments. Cicéron l’éleva dans ses éloges bien au-dessus de son oncle ; il l’appela un divin jeune homme suscité par le ciel pour la défense de la patrie : il se fit le garant de son patriotisme et de sa fidélité imprudentes paroles que Brutus lui reprocha bien durement, et que l’événement ne devait pas tarder à démentir !

On connait trop les faits qui suivirent pour que j’aie besoin de les raconter. Jamais Cicéron n’a joué un plus grand rôle politique qu’à ce moment ; jamais il n’a mieux mérité ce nom d’homme d’État que ses ennemis lui refusent. Pendant six mois, il fut l’âme du parti républicain, qui se recomposait à sa voix. « C’est moi, disait-il avec orgueil, qui ai donné le signal de ce réveil[1], » et il avait raison de le dire. Sa parole sembla rendre quelque patriotisme et quelque énergie à ce peuple indifférent. Il lui fit applaudir encore une fois

  1. Philippiques, XIV, 7.