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cette lutte où il devait périr. Je montrerai que ce n’est pas de lui-même et volontairement qu’il la commença. Il avait quitté Rome et ne voulait pas y revenir. Il pensait que le temps des résistances légales était passé, qu’il fallait opposer aux vétérans d’Antoine de bons soldats plutôt que de bonnes raisons, et il n’avait pas tort. Convaincu que son rôle était fini et que celui des gens de guerre allait commencer, il partait pour la Grèce quand un coup de vent le rejeta sur la côte de Rhegium. De là il se rendit au port de Vélie, où il trouva Brutus, qui se préparait aussi à quitter l’Italie, et ce fut lui qui, toujours scrupuleux, toujours ennemi de la violence, lui demanda de faire encore quelques efforts pour ranimer le peuple, et de tenter une dernière fois la lutte sur le terrain de la loi. Cicéron céda aux prières de son ami, et quoiqu’il n’espérât guère réussir, il s’empressa de retourner à Rome pour y livrer ce dernier combat. C’était la seconde fois « qu’il venait, comme Amphiaraüs, se jeter vivant dans le gouffre.»

Brutus lui rendit ce jour-là un grand service. L’entreprise désespérée dans laquelle il l’engagea presque malgré lui ne pouvait pas être utile à la république, mais elle profita à la gloire de Cicéron. Ce moment fut le plus beau peut-être de sa vie politique. D’abord nous avons le plaisir et presque la surprise de le trouver ferme et décidé. Il semble s’être délivré de toutes ces hésitations qui embarrassaient ordinairement sa conduite. C’est qu’aussi il n’était guère possible d’hésiter alors. Jamais la question ne s’était aussi nettement posée. À chaque évolution nouvelle des événements, les partis se dessinaient davantage. Une première fois l’ambition de César, qui n’était ignorée de personne, en ralliant autour de l’aristocratie romaine tous ceux qui voulaient, comme elle, conserver les anciennes institutions, avait élargi les cadres de ce vieux parti et mo-