Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

augmentée. Les hommes d’État ne perdent pas autant qu’ils le pensent à rester quelque temps en dehors des affaires. La retraite, dignement supportée, les grandit, Il suffit qu’ils ne soient plus au pouvoir pour qu’on se trouve quelque penchant à les regretter. On a moins de raisons d’être sévère pour eux quand on ne convoite pas leur place, et, comme on ne souffre plus de leurs défauts, on en perd facilement le souvenir pour ne plus songer qu’à leurs qualités. C’est ce qui arriva à Cicéron. Sa disgrâce désarma tous les ennemis que lui avait faits sa puissance, et jamais sa popularité ne fut plus grande qu’à ce moment où il se tenait volontairement loin des yeux du public. Dans la suite, quand il crut devoir se rapprocher davantage de César, il se conduisit avec tant d’adresse, il accommoda si habilement ensemble la soumission et l’indépendance, il sut si bien conserver, jusque dans ses éloges et ses flatteries, un air d’opposition, que l’opinion publique ne cessa pas de lui être favorable. D’ailleurs les plus illustres défenseurs de la cause vaincue, Pompée, Caton, Scipion, Bibulus, étaient morts. De tous ceux qui avaient occupé avec honneur de grandes fonctions sous l’ancien gouvernement, il ne restait guère plus que lui ; aussi s’habitua-t-on à le regarder comme le dernier représentant de la république. On sait qu’aux ides de mars Brutus et ses amis, après avoir frappé César, appelèrent Cicéron en agitant leurs épées sanglantes. Ils semblaient ainsi le reconnaître pour le chef de leur parti et lui faire honneur du sang qu’ils venaient de verser.

Ce sont donc les circonstances plus encore que sa volonté qui lui ont fait jouer un si grand rôle dans les événements qui suivirent la mort de César. Je raconterai plus tard[1] comment il fut amené à livrer contre Antoine

  1. Dans l’étude sur Brutus.