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ouvert les rangs de l’armée aux plus pauvres citoyens (capite censi). Ces malheureux, ne trouvant pas d’autre ressource, s’étaient faits soldats. Faute de mieux, ils avaient achevé la conquête du monde, soumis l’Afrique, la Gaule et l’Orient, visité la Bretagne et la Germanie, et la plupart d’entre eux, les plus braves et les meilleurs, étaient restés dans ces lointaines expéditions. Pendant ce temps, les vides que faisaient dans la cité tous ceux qui partaient et ne revenaient pas se remplissaient mal. Depuis que Rome était puissante, il y venait des gens de toutes les parties du monde, et l’on pense bien que ce n’étaient pas les plus honnêtes. À plusieurs reprises elle essaya de se défendre contre ces invasions d’étrangers ; mais elle avait beau faire des lois sévères pour les éloigner, ils revenaient toujours se cacher dans cette immense ville sans police, et une fois qu’ils y étaient établis, les plus riches avec de l’argent, les autres avec des complaisances ou des ruses, finissaient par obtenir le titre de citoyens. Ceux qui l’avaient plus naturellement encore et sans avoir besoin de le demander, c’étaient les affranchis. Sans doute la loi ne leur accordait pas du premier coup tous les droits politiques ; mais après une ou deux générations, toutes ces réserves disparaissaient, et le petit-fils de celui qui avait tourné la meule et qu’on avait vendu sur le marché des esclaves votait les lois et nommait les consuls comme un Romain de vieille race. C’est de ce mélange d’affranchis et d’étrangers que se formait alors ce qu’on appelait encore par habitude le peuple romain, peuple misérable, qui vivait des libéralités des particuliers ou des aumônes de l’État, qui n’avait plus ni souvenirs, ni traditions, ni esprit politique, ni caractère national, ni même moralité, car il ne connaissait pas ce qui fait l’honneur et la dignité de la vie dans les conditions les plus basses, le travail. Avec un peuple pareil, la république n’était plus possible. C’est