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Alésia et Gergovie, d’abandonner César et de passer du côté des lois et de la république, ils ne répondaient pas qu’ils défendaient le peuple et ses droits. « Nous, disaient-ils, nous quitterions notre général, qui nous a donné tous nos grades, nous prendrions les armes contre une armée dans laquelle nous servons et nous sommes victorieux depuis trente-six ans ! Nous ne le ferons jamais[1]. » Ces gens-là n’étaient plus citoyens, mais soldats. Après trente-six ans de victoires, ils avaient perdu les traditions et le goût de la vie civile ; les droits du peuple leur étaient devenus indifférents, et la gloire remplaçait pour eux la liberté. Cicéron et ses amis pensaient que cet entourage n’est pas celui d’un chef populaire qui vient rendre la liberté à ses concitoyens, mais celui d’un ambitieux qui vient établir par les armes un pouvoir absolu, et ils ne se trompaient pas. Ce qui le prouve plus que tout le reste, c’est la conduite que tint César après la guerre. De quelle façon a-t-il usé de sa victoire ? comment en a-t-il fait profiter le peuple dont il prétendait défendre les intérêts ? Je ne parle pas de ce qu’il a pu faire pour son bien-être et ses plaisirs, des fêtes somptueuses, des repas publics qu’il lui a donnés, du blé et de l’huile qu’il a si généreusement distribués aux plus pauvres, des 400 sesterces (80 francs) qu’il a payés à chaque citoyen le jour de son triomphe : si ces aumônes suffisaient aux plébéiens de ce temps, s’ils consentaient à sacrifier leur liberté à ce prix, je pardonne à Cicéron de n’avoir pas fait d’eux plus d’estime et de ne s’être pas rangé de leur côté ; mais s’ils réclamaient autre chose, s’ils voulaient une indépendance plus complète, plus de part aux affaires de leur pays, de nouveaux droits politiques, ils ne les ont pas obtenus, et la victoire de César, malgré ses promesses, ne les a

  1. De Bello afric., 45.