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un même nom tous les peuples de l’univers. Ce sont assurément là de grandes choses, et il ne nous convient pas de les oublier, nous qui sommes les fils de ces vaincus appelés par César à partager sa victoire. Mais qui songeait, au temps de Cicéron, qu’il en devait être ainsi ? qui pouvait prévoir et indiquer ces conséquences lointaines ? La question ne se présenta pas alors comme elle se pose pour nous, qui l’étudions à distance. César, dans les motifs qu’il donne de son entreprise, n’allègue nulle part l’intérêt des peuples vaincus. Le sénat n’a jamais prétendu être le représentant de la nationalité romaine menacée par une invasion des barbares, et l’on ne voit pas que les provinces se soient soulevées en faveur de celui qui venait les défendre : au contraire, elles se partagèrent d’une façon presque égale entre les deux rivaux. Si l’Occident combattait avec César, tout l’Orient se rendit dans le camp de Pompée. C’est ce qui prouve que quand la lutte s’engagea, les conséquences n’en étaient pas connues, même de ceux qui devaient en profiter, et que leur intérêt aurait dû rendre clairvoyants. D’ailleurs, quand Cicéron aurait soupçonné les bienfaits que le monde allait tirer du triomphe de César, pense-t-on que cette raison pouvait suffire à le décider ? Il n’était pas de ces gens qui aiment l’humanité tout entière pour se dispenser de servir leur pays. Il se serait difficilement résigné à sacrifier sa liberté, sous prétexte que ce sacrifice profiterait aux Gaulois, aux Bretons et aux Sarmates. Sans doute l’intérêt du monde ne lui était pas indifférent, mais celui de Rome le touchait plus encore. Il était doux et humain de caractère, il avait écrit dans de beaux ouvrages que toutes les nations ne sont qu’une même famille, il s’était fait chérir dans la province qu’il avait gouvernée ; cependant, quand César ouvrit aux étrangers qui l’accompagnaient la cité et même le sénat, il se