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III


La crise politique la plus grave que Cicéron ait traversée, après les grandes luttes de son consulat, est certainement celle qui se termina par la chute de la république romaine à Pharsale. On sait qu’il ne s’engagea pas volontiers dans ce terrible débat, dont il prévoyait l’issue, et qu’il flotta près d’un an entre les deux partis avant de se décider. Il n’y a pas à être surpris qu’il ait hésité si longtemps. Il n’était plus jeune et obscur comme au temps où il plaida pour Roscius. Il avait une grande position et un nom illustre qu’il ne voulait pas compromettre, et il est bien permis de réfléchir quand on joue d’un coup sa fortune, sa gloire et peut-être sa vie. D’ailleurs la question n’était pas aussi simple et le droit aussi évident qu’il le parait d’abord. Lucain, dont les sympathies ne sont pas douteuses, disait pourtant qu’on ne peut pas savoir de quel côté était la justice, et cette obscurité ne semble pas s’être tout à fait dissipée, puisque après dix-huit siècles de discussions la postérité n’a pas réussi encore à se mettre d’accord. Ce qu’il y a de curieux, c’est que chez nous, au dix-septième siècle, en plein régime monarchique, les savants se prononçaient tous sans hésiter contre César. Des magistrats de cours souveraines, hommes timides et modérés par leurs fonctions et leurs caractères, qui approchaient du roi et ne lui ménageaient pas les flatteries, se permettaient d’être des pompéiens dans l’intimité et même des pompéiens fougueux. « M. le premier président, dit Guy-Patin, est si fort du parti de Pompée qu’il me témoigna un jour de la joie de ce que j’en étais, lui ayant dit, dans son beau jardin de Bâville, que si j’eusse été, quand on tua Jules César, dans le