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Malheureusement il est rare que ces sortes de coalitions survivent beaucoup aux circonstances qui les ont fait naître. Quand ces intérêts qu’un danger commun avait réunis commencèrent à se rassurer, ils reprirent entre eux leur ancienne guerre. Les plébéiens, qui n’avaient plus peur, sentirent renaître leur rancune contre la noblesse. Les nobles recommencèrent à jalouser la fortune des chevaliers. Quant aux chevaliers, ils n’avaient rien de ce qu’il faut pour devenir, comme Cicéron l’avait voulu, l’âme d’un parti politique. Ils étaient plus occupés de leurs affaires privées que de celles de la république. Ils n’avaient pas la force du nombre, comme les plébéiens, et manquaient de ces grandes traditions de gouvernement qui conservèrent si longtemps l’autorité à la noblesse. Pour toute règle de conduite, ils avaient cet instinct ordinaire aux grandes fortunes qui leur fait préférer l’ordre à la liberté. Ils cherchaient avant tout un pouvoir fort qui sût les défendre, et César n’eut pas dans la suite de partisans plus dévoués qu’eux. Dans ce désarroi de son parti, Cicéron, qui ne pouvait pas rester seul, se demanda de quel côté il devait se ranger. L’effroi que Catilina lui avait causé, la présence de César et de Crassus dans les rangs de la démocratie l’empêchèrent d’y revenir, et il finit par s’attacher à la noblesse malgré ses répugnances. À partir de son consulat, il se tourne résolument vers elle. On sait comment la démocratie se vengea de ce qu’elle regardait comme une trahison. Trois ans après, elle fit condamner son ancien chef, devenu son ennemi, à l’exil, et ne consentit à le rappeler que pour le jeter aux pieds de César et de Pompée, que leur union avait rendus les maîtres de Rome[1].

  1. Voir, sur l’exil de Cicéron et la politique qu’il suivit après son retour, l’étude sur César et Cicéron, 1er partie.